XIXe siècle
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Prolongeant le récit, paru en 2003, des deux cents ans d’histoire de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, le présent ouvrage propose une étude complémentaire à caractère thématique fondée sur les travaux d’un colloque qui s’est tenu la même année.
La première partie traite de l’institution elle-même, principalement dans sa fonction de corps intermédiaire, mais aussi dans son organisation et dans son positionnement national. Les trois suivantes examinent les multiples activités de la Chambre autour de ses différents champs d’intervention : les hommes, avec la politique sociale et surtout la formation ; les entreprises, avec les prises de position sur la législation et sur la politique économiques, tout comme avec la mission d’information et de conseil ; les territoires, avec les actions de développement international et régional. Chacun de ces thèmes fait l’objet d’une série de communications qui fait alterner gros plans et visions panoramiques. Après quoi, une ou deux tables rondes réunissent acteurs et témoins pour éclairer le lien entre le passé analysé par les historiens et la période contemporaine que restituent ceux qui l’ont vécue.
Par la variété des sujets et des angles de vue, comme par la richesse des matériaux et des analyses, l’ouvrage offre ainsi à la fois de larges perspectives et la possibilité de satisfaire des curiosités plus ciblées. En tout état de cause, il montre concrètement comment, loin parfois des feux de l’actualité, un corps intermédiaire tel que la Chambre de commerce et d’industrie de Paris contribue dans la durée à l’action économique de la France.
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En 1855, Maxime Du Camp publie Les Chants modernes, recueil de poèmes précédés d’une virulente préface qui revendique un nouveau statut pour la poésie et pour les arts en général : en phase avec le monde moderne et régénéré par la collaboration avec les sciences et l’industrie qui lui ouvrent des horizons nouveaux, l’art devrait s’extirper d’une léthargie malsaine entretenue par le ressassement des thèmes antiques et les ravages de l’art pour l’art. 1855 est aussi l’année de la première Exposition Universelle de Paris ; le succès de l’entreprise, l’engouement du public pour les créations de l’industrie, la désertion de l’exposition des beaux-arts au profit de l’annexe des machines alertent les artistes. Certains, à l’instar de Du Camp et des collaborateurs de la Revue de Paris dont il est le rédacteur, y voient l’occasion d’un renouvellement ; d’autres – Baudelaire, Ernest Renan, Leconte de Lisle – s’insurgent contre la contamination des domaines de l’esprit par ceux de la matière, et contre l’application sans discernement de la notion de progrès aux arts comme aux techniques.
Marta Caraion restitue le débat provoqué par Les Chants modernes et par l’Exposition Universelle au sujet des rapports entre arts, sciences et industrie, en rassemblant les textes d’une polémique qui apparaît comme une sorte de bilan du positionnement des intellectuels du milieu du XIXe siècle, à la veille de l’entrée en littérature d’un Zola ou d’un Jules Verne. Le noyau de cette controverse est la préface aux Chants modernes, intégralement reproduite ici et suivie par d’autres textes de Maxime Du Camp (ses «Chants de la matière», ses articles sur l’Exposition Universelle), mais aussi par des critiques de son livre (Gautier, Sainte-Beuve, Gustave Planche…), des réactions d’écrivains (Baudelaire, Louis Ménard, Leconte de Lisle, Ernest Renan, Victor de Laprade), et par les articles de la Revue de Paris dont les signatures sont moins célèbres (Louis de Cormenin, Achille Kauffmann, Hippolyte Castille). Entre romantisme et naturalisme, cet ensemble d’écrits constitue un épisode révélateur de l’histoire littéraire, tant dans la perspective des textes eux-mêmes que dans celle d’une étude de la situation de l’écrivain au XIXe siècle.
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Depuis son apparition en 1829 dans un retentissant pamphlet de Henri de Latouche, la notion de «camaraderie littéraire» est devenue inséparable de l’histoire sociale du romantisme français. Les cénacles romantiques ont été soupçonnés l’un après l’autre d’élaborer collectivement des stratégies de solidarité pour fabriquer des gloires factices. La querelle de la camaraderie, loin d’être circonscrite aux préparatifs de la bataille d’Hernani, a agité toute l’époque romantique puis a été fréquemment relancée jusqu’à nos jours. Cet essai en expose les enjeux et en reconstitue les principales étapes.
Pourquoi le phénomène de la camaraderie a-t-il suscité une telle effervescence critique et mobilisé, pour en défendre ou en fustiger les principes et les effets, les plumes de Stendhal, de Balzac, de Hugo, d’Eugène Scribe ou de Sainte-Beuve ? Afin de répondre à cette question, Anthony Glinoer a intégré à son analyse de fond un grand nombre de pamphlets, préfaces, satires et romans qui en nourrissent le débat. Ces textes témoignent de l’intensité et de la diversité de la controverse entourant l’avènement du mouvement romantique. Ils font également valoir, sur le plan des discours, que le «sacre de l’écrivain» a coïncidé avec une collectivisation accrue de la vie littéraire : s’il se représente volontiers seul face à la foule, l’écrivain dépend désormais étroitement, dans sa quête de reconnaissance, de ses pairs réunis en cénacles, en académies ou en réseaux. La querelle de la camaraderie accompagne ainsi l’émergence du romantisme tout en interrogeant la structuration même du champ littéraire au XIXe siècle.
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Quoiqu’il ait longtemps été défini par son indétermination, le roman est un genre fortement contraint, depuis ses origines, par l’exigence toute profane de se consacrer à l’imperfection humaine. S’inscrivant dans les marges des grands genres, l’épopée et la tragédie, il prend pour objet la dimension ordinaire de l’existence, souvent à travers des aventures amoureuses écrites dans un style qui tienne le milieu entre le sublime et le bas. En posant les jalons d’une nouvelle histoire du roman, Sylvie Thorel-Cailleteau montre comment prend forme cet art de la médiocrité, lié à l’exercice de la prose et dont les expressions varient : alors que, dans son acception classique, la médiocrité désignait la convenance de l’œuvre à un public choisi, elle tend par la suite à se confondre avec la vulgarité, sinon la trivialité, dont les romanciers du XIXe siècle tentaient d’extraire une saisissante beauté. Le genre romanesque a évolué jusqu’au point où son antique vocation de peindre ce qui est simplement humain le conduit à représenter la défaite des valeurs dont il se réclamait précédemment (l’amour, la vertu) et à montrer surtout notre condition mortelle. Au lieu de tisser ensemble des histoires consolantes, suivant l’ancienne formule, il en vient à dire exclusivement, ainsi dans les dernières œuvres de Beckett, l’élévation d’une voix funèbre.
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Inventeur du néologisme « déontologie », le philosophe anglais Jeremy Bentham (1748-1832) lui donnait pour but de fixer ce qui doit être sous l'égide du principe de l'utilité, de concilier les intérêts privés et les intérêts publics.
Emmanuelle de Champs explore la branche politique de la déontologie benthamienne, l'art du législateur, celui du droit constitutionnel, et la dimension morale de l'utilitarisme, qu’elle juge centrale dans le système philosophique benthamien. Elle montre que la théorie du langage et de la connaissance (dite "théorie des fictions") est une véritable condition de possibilité de la réflexion politique: il s'agit de forger les outils nécessaires à l'élaboration d'une morale de l'action publique. Loin d'être le produit d'une conversion tardive à la démocratie, la réflexion constitutionnelle habite l'œuvre de Bentham dès le début des années 1770. Au cours des années, elle se nourrit des Révolutions américaine et française, de la montée des revendications radicales en Grande-Bretagne, puis des révolutions libérales du sud de l'Europe et d'Amérique latine au début du XIXe siècle.
Etudiée dans son contexte, la déontologie politique benthamienne s'inscrit dans un dialogue avec Montesquieu et Blackstone, Burke et Paine, Mill et Macaulay. Elle apparaît alors comme une étape majeure dans l'histoire des idées politiques occidentales.
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L’aura que la figure du médecin a acquise au XIXe siècle (l’homme de science y faisant office de nouveau prophète), participe d’une construction mythique moderne que le docteur Jean Martin Charcot a illustrée et promue comme d’autres avant lui. Les romans de la Salpêtrière expose en quoi la réception – tronquée et partisane – de l’œuvre du célèbre neurologue sert de point d’ancrage à l’image de la science diffractée dans la littérature fin de siècle. Bertrand Marquer interroge en effet comment, autour du réputé professeur, la pratique expérimentale et les discours sur l’hystérie ont influencé un imaginaire ; mais aussi quel rôle a joué l’action conjointe de l’idéologie, de la technique et de la rhétorique dans l’élaboration d’une représentation fantasmée du «maître de la Salpêtrière». De fait, la scénographie médicale dont le grand clinicien est le principal acteur a suscité moult échos esthétiques et littéraires. De nombreux romans reflètent la diversité des postures adoptées : le naturalisme anticlérical (Zola, Lemonnier, Claretie, Daudet) côtoie la fantasmagorie clinique (Maupassant, Mirbeau, Lermina, Lorrain, Rachilde), voire un mystère religieux renouvelé (Huysmans, Villiers de l’Isle-Adam). Exhumant une littérature aujourd’hui oubliée (Hennique, Nizet, Trézenik, Lesueur, Germain, Dubarry, Epheyre…), cet essai dégage les substrats éclairants qui ont nourri des œuvres désormais considérées comme «classiques».
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Premier roman de Charles Didier, publié en 1833, «Rome souterraine» retrace la tentative de soulèvement d'une poignée de «carbonari» après la mort du pape. Il connut huit éditions successives au XIXe siècle et de multiples traductions en Europe, avant de tomber dans l'oubli. En proposer pour la première fois une édition critique, c'est attirer l'attention sur l'intérêt qu'il peut continuer de susciter, tant sur le plan littéraire que sur le plan sociologique et idéologique. «Rome souterraine» s'inscrit dans un genre, le roman historique, alors en pleine expansion, dont il s'affranchit aussitôt puisqu'il se déroule sur fond d'histoire contemporaine. L'écriture efficace, le sens de l'observation, parfois même le sens de l'humour, en rendent encore la lecture attrayante. L'évocation de la ville et de la campagne environnante échappe aux clichés ; enfin, le cardinal de Pétralie, personnage central, constitue peut-être la plus passionnante figure de prêtre de la littérature du XIXe siècle.